Désormais habitués à nos rencontres avec ces aquascapers du bout du monde, il nous semblait important de reprendre la suite de notre tour de France des paysagistes aquatiques.
Continuons à nous intéresser à la FACT, ce groupe d’aquascapers dont nous vous avons précédemment parlé. Olivier Thébaud est l’un de ses membres.Olivier est l’aquascaper, le photographe et le rédacteur de Floraquatic. Nous allons, une fois n’est pas coutume, inverser les rôles et l’interroger. C’est pour nous l’occasion de vous le présenter sous un angle différent. En collaboration avec AQUAmag, certaines réponses ont été rédigées à l’occasion d’une interview réalisée pour le n°18 publié en 2013, faisant suite à sa performance lors de l’IAPLC 2012 (International Aquatic Plants Layout Contest) au cours duquel il a obtenu le meilleur classement français, se hissant à la 76ème place sur un total de plus de 2000 participants.
Le bac d’Olivier Thébaud, « Local River », peuplé de Stiphodon spp; et Microdevario Kubotai, a terminé 76ème au classement de l’IAPLC 2012, ce qui reste exceptionnel pour un Français. À noter que le rédacteur en chef d’AQUAmag*, Philippe Chevoleau, également membre du jury de l’IAPLC 2012, l’avait placé dans les 10 premiers de son classement.
FQ : Olivier bonjour! Tout d’abord permettez-moi de vous présenter. Vous vous appelez Olivier Thébaud, vous avez 42 ans et vous êtes photographe. Pouvez-vous nous parler un peu de vous? Depuis quand et comment pratiquez-vous ce hobby passionnant?
OT: Je suis venu à l’aquariophilie directement par la pratique de l’aquascaping et ce depuis 4 ans.
FQ: Vous avez en peu de temps acquis une certaine expérience et votre place à l’IAPLC, avec votre bac « Local River » arrivé 76ème sur plus de 2000, est une performance plus qu’honorable. Comment en êtes- vous arrivé a ce niveau?
OT: En 2012 lorsque mon aquarium a obtenu ce classement, mon fils aîné m’a dit: « Quand je pense que sans moi tu ne ferais pas d’aquarium »… L’histoire a commencé par la demande que font tant d’enfants : « Papa, je voudrais un poisson rouge ». Je crois que tout est dit. Puis ayant banni l’idée du bocal dans la chambre de mes fils, j’ai fait quelques recherches sur internet.J’ai alors trouvé par hasard un Iwagumi de Takashi Amano ainsi qu’un élevage de Betta splendens. Ces deux découvertes m’ont immédiatement séduit et j’ai alors pris conscience qu’un aquarium peut être assez beau pour prendre place dans un séjour. En rentrant chez moi, j’ai montré tout cela à ma petite famille en disant simplement: « je vais vous faire la même chose! » Après, s’en est suivi une succession d’erreurs et de tâtonnements avant de parvenir à des résultats acceptables.
FQ : Combien d’aquariums possédez-vous actuellement et combien de temps la maintenance de ceux- ci vous prend-elle?
OT: Aujourd’hui, j’ai deux aquariums, le premier est chez moi; jele dédie aux paysages aquatiques. Le second est à l’atelier où je sélectionne et hybride des crevettes de sélection.
FQ : Quel est, parmi vos réalisations, l’aquarium dont vous êtes le plus satisfait?
OT: Je crois que c’est « Régénération« , mon dernier projet. Il fait partie intégrante de ma démarche photographique et de ma vie. Le désir de photographier la nature est né en 2005 lors d’une promenade en Bretagne après les grandes tempêtes.Dans l’obscurité d’une forêt magique, les arbres encore debout étaient tous mortstandis que ceux qui étaient tombés et jonchaient le sol avaient résisté; non seulement ils étaient encore en vie, mais leurs écorces étaient devenuesle nid de jeunes pousses d’ arbres.
Cette régénération m’avait subjugué. Sept ans plus tard, toujours aussi passionné de paysages aquatiques, j’ai eu l’occasion d’effectuer un voyage au Japon sur l’île de Yakushima. L‘envie de reproduire dans un aquarium la régénération également présente dans les sous-bois de la forêt de l’île, est devenue alors mon objectif principal.
FQ : Maintenant , puis-je vous poser quelques questions d’ordre technique? Quel type de substrat utilisez vous?
OT: J’utilise uniquement de l’ ADA new amazonia pour mes bacs plantés et du Powder pour mon bac de sélection de crevettes.
FQ : Considérez- vous la filtration de l’eau comme une partie importante de votre travail ?
OT: La filtration est la partie la plus importante pour obtenir et maintenir l’équilibredu bac et, si un bon brassagelié à la filtration de l’eau est indispensable, c’est surtout le volume de cette dernière qui aujourd’hui m’importe. Je n’hésite pas à le doubler et à mettre en série les filtres. Ce procédé permet de limiter au strict minimum les changements d’eau; de plus il est ainsi plus simple d’obtenir la stabilité du milieu aquatique. Je viens de constater que moins je change l’eau d’un bac, plus vite poussent les plantes.
Regeneration, 2014
FQ : Pouvez- vous nous expliquer brièvement la façon dont vous réglez vos aquariums depuis le début de leur conception ? Comment utilisez vous la lumière? Quels sont vos rythmes de changements d’eau jusqu’à ce que l’aquarium atteigne sa plénitude? Considérez-vous l’apparition des algues comme normale et que faites- vous si vous constatez leur présence ?
OT: Je commence mes bacs paysagés en fonction de leur volume et du choix des plantes. J’ai énormément appris en faisant des erreurs et en observant. Encore aujourd’hui, je commence doucement à installer un bac sans engrais, sans Co2 et avec un éclairage minimum, tandis qu’à côté je compte lancer un autre projet avec dès le début énormément de Co2 et d’engrais. Il n’y a pas de règles mais des désirs, des besoins. Soit on veut aller vite en se fixant un projet, soit on peut ne rien faire de bien défini et juste observer. Ces deux approches ont leurs atouts; le seul point important est d’être régulier et de ne jamais modifier plusieurs choses en même temps car, si un problème surgit, il devient alors plus délicat d’en connaître l’origine.
Lorsque j’ai débuté, j’éclairais un bac de 150 litres avec deux ampoules de 23 watts, avec peu de Co2 et peu d’engrais. Il n’y a jamais eu présence d’algues et la végétation se développait bien. Lorsque j’ai évolué dans ma pratique, les algues sont apparues dans les bacs et aujourd’hui je suis devenu expert en la matière, grâce aux expériences des uns et des autres ainsi qu’au partage des solutions. Cela m’aide beaucoup!
FQ : Avez vous une préférence pour un type de plantes ou une espèce de poissons?
OT: J’aime les plantes, mais une revient sans cesse dans mes bacs ; c’est l’Eleocharis vivipara. Elle est difficile à dompter mais la grâce lorsqu’elle frôle la surface de l’eau est d’une poésie troublante. Bien dense, elle ressemble à une chevelure dans laquelle parfois il faut passer la main avec une infinie douceur pour la mettre en place tout en prenant soin de ne pas l’arracher. Rassurez vous je vais bien, mais j’ai une relation assez particulière avec cette plante.
J’aime tous les poissons. Ils sont fascinants à observer lorsqu’ils évoluent avec leur habitudes naturelles dans un paysage cohérent. De plus si le décor est pensé pour eux, alors l’aquarium devient un véritable lieu de nature et de vie.
Dans mon premier aquarium Deep Rooted qui avait fini 2ème du CAPA en 2011, j’avais déjà des Stiphodons dans mes bacs; ces poissons m’accompagnent désormais dans la plupart des projets que je fais et c’est en pensant à eux que je conçois mes paysages.
FQ : Quel type de fertilisant utilisez vous?
OT: J’utilise du fertilisant liquide; j’ai un faible pour les produits Easy Life qui sont simples et très efficaces.
FQ : Vous exercez le métier de photographe. Considérez-vous la photographie comme une étape importante en Aquascaping ? Préparez-vous méticuleusement vos prises de vues finales et avez-vous une technique particulière?
OT: Je suis venu aux paysages aquatiques par la photographie. J’exerce ce métier depuis plus de 15 ans dans le reportage, la photo instantanée mais également dans le paysage. L’aquascaping est très lié à la photographie. Le premier point commun est l’espace: la photographie a un cadre, l’aquarium aussi. Les deux doivent avoir une composition, une âme… Un aquarium, comme une image, peut raconter une histoire. Pour le reste, j’ai découvert dans l’aquascaping un énorme panel de créativité. Il manquait peut-être cela dans la photographie que je pratiquais à l’origine et qui consistait à enregistrer le réel, sans jamais intervenir. Dans l’aquarium je choisis la population qui, selon ses besoins, va nécessiter un décor et une végétation particulière. C’est l’élément déclencheur. Puis ensuite rentre en jeu l’œil du photographe. Son habitude à composer avec le réel va l’aider à concevoir les décors. Mais en aquascaping, il s’agit de retranscrire des souvenirs, des impressions de promenades.
Au cours de l’évolution du paysage que je suis entrain de créer, je travaille avec des photographies « de face » que j’étudie longuement, car l’image permet de voir et de comprendre comment, en déplaçant une pierre, on peut créer de la profondeur, souligner quelque chose ou en étouffer une autre. Ce qui fonctionne sur une photo fonctionnera dans la réalité, alors que l’inverse n’est pas obligatoire. Grâce à la photographie, on peut observer les défauts et également partager l’évolution de son bac avec ses amis. Rien ne vaut les conseils extérieurs, que ce soient ceux de mes amis français où étrangers qui pratiquent l’aquascaping, ou de ma famille. Une réflexion d’un de mes fils peut tout changer, car les enfants ont un œil neuf, dénué de préjugés et de contraintes. Le nombre d’or, ils s’en fichent !
Photosynthèse, 2013
FQ : Pouvez-vous nous donner le nom de vos aquascapers favoris?
OT: Takashi Amano, Masashi Ono, Yutaka Kanno, Minoru Yamagishi, Dave Chow, mes amis de la FACT et pleins de jeunes débutants comme ceux que je croise au Café Aqua sur Facebook.
FQ : En dehors de l’Aquascaping avez- vous d’autres hobbys ?
OT: Oui; j’aime la musique, les sports de glisse.
FQ: Où trouvez-vous votre inspiration?
OT: Dans La nature et dans mon enfance. J’ai grandi non loin de la forêt de Brocéliande. Au bout du jardin de la maison coulait un ruisseau; je partais souvent y pêcher les grenouilles muni d’un bâton et d’un chiffon rouge, et puis il y avait surtout l’imposante et bruissante présence des arbres. La beauté était là.
Essayer de représenter la nature dans un espace délimité est un challenge passionnant qui, s’il est réussi, fait entrer un tableau saissisant et unique dans un interieur.Clisson, 2014
FQ : Pour terminer notre entrevue, auriez vous un conseil à donner à un paysagiste débutant soucieux de progresser?
OT: Prendre le temps d’observer la nature, se promener en forêt car c’est ainsi que l’on peut sentir la nature etla retranscrire plus aisément. Ensuite regarder les aquariums qui vous plaisent, comprendre la disposition des plantes, essayer d’analyser assez méthodiquement les bacs les plus réussis. Puis se poser et réfléchir au décor que l’on souhaite obtenir.C’est la partie la plus créative: la conception et la réalisation. Le choix des matériaux est crucial; une belle racine où une belle pierre peut être réutilisée de maintes façons. À partir de cet instant, lorsque vous avez déjà votreprojet en tête, vous avez la possibilitévous faire aider. Pour ce faire, vous pouvez contacter des aquascapers que vous appréciez, via Facebook par exemple.
(*) Nous tenons à remercier AQUAmag ( www.aquamag.fr/) pour nous avoir permis d’utiliser certaines des réponses faite par Olivier à Pascal Bonetti lors de l’interview réalisé en 2013.